COP 21, quand l’agro-industrie siphonne la vague des circuits courts
Enjeux des circuits courts, avancées et limites du phénomène "Greenwashing" et
circuits courts alimentaires ? Le ver est dans le fruit, les exemples
sont nombreux dans l’industrie agro-alimentaire de s’habiller en vert et
de reprendre à son compte les valeurs qui animent les producteurs
paysans et groupes de consom’acteurs. À l’heure où les multinationales
et la grande distribution ‘surfent’ sur la proximité, il nous revient de
faire le point sur l’évolution du mouvement issu des AMAP (Associations
pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), de ses limites et du
vernissage vert entrepris par l’économie numérique et l’agro-business à
l’occasion de la COP 21.
"Les AmiEs de la Confédération paysanne" fédèrent ruraux
et urbains, désirant participer activement à la mise en place d’une
agriculture respectueuse des hommes et de l’environnement, ils font la
promotion du mensuel « Campagnes solidaires » qui introduit les enjeux
de société, de la ruralité et les combats syndicaux de la Conf’ contre
l’industrialisation de l’agriculture.
L’agro-industrie court-circuite le service de proximité
ou Enjeux des circuits courts, avancées et limites du phénomène
Dossier écoblanchiment de la Coordination Permanente des Médias Libres
Pour voir plus loin
’Reterritorialisation’ de l’alimentation, systèmes
alimentaires territorialisés et objectifs d’équité territoriale,
contre-feux à la mondialisation, que deviennent les circuits courts
alimentaires dans notre société libérale en proie à une crise
alimentaire durable ? [1]
Le contexte de crise agricole structurelle amène de
nombreux producteurs à passer par des solutions dites locales qui
attisent les convoitises de nombreux industriels. L’attrait qui se
manifeste autour des circuits courts participe aussi de l’écoblanchiment
pour un certain nombre d’acteurs économiques à l’échelle
agro-alimentaire qui voient dans l’évolution des pratiques de
consommation une nouvelle opportunité économique.
Les politiques incitent désormais à leur développement
puisque, le 4 juillet 2014, les Régions de France signaient en Bretagne
une charte affirmant « leur intérêt et leur engagement
pour les systèmes alimentaires territorialisés comme une alternative de
l’agro-industrie et de la consommation de masse, pour valoriser les
produits dans des filières de proximité, privilégier une agriculture
familiale et des réseaux de TME/TPE agroalimentaires et des circuits
alternatifs de commercialisation. »
De nouvelles attentes des consommateurs et des citoyens
émergent depuis le début du 21ème siècle et participent au développement
des circuits courts (0 ou 1 intermédiaire), à l’initiative de
producteurs et/ou de consommateurs. Le développement de ce secteur
d’activité qui concerne près d’un quart des paysans suivant les régions
de France permet de lutter contre la fragilisation de la production en
offrant des garanties de commercialisation.
Les circuits courts nous resituent dans une société qui a
déconnecté la question de l’alimentation de ses conditions de
production agricole.
Ils nous rappellent que même si ces segments de
consommation représentent pour beaucoup des niches, celles-ci attirent
aujourd’hui les acteurs de la grande distribution qui se rachètent une
conscience et repeignent le développement rural avec de la peinture
verte malgré la pressurisation sociale sur les salariés et paysans. En
effet, ces derniers disparaissent du paysage national en subissant une
politique de prix particulièrement agressive qui a conduit à
l’hyperconcentration des acteurs économiques (5 centrales d’achat en
Grandes et Moyennes Surfaces). De nombreux facteurs de fragilisation s’y
ajoutent, liés à la volatilité des marchés, le contrôle de la
distribution par les grandes surfaces (70%) et la maîtrise du secteur
des semences par quelques multinationales. Le capitalisme existe dans
l’industrie agro-alimentaire de façon massive : concentration de la
production, de la transformation, de la distribution, intervention
massive dans une déréglementation internationale des politiques
publiques agricoles avec l’arrivée des spéculateurs.
Malgré la captation de la valeur en faveur du producteur
dans les circuits courts, on assiste à une fragilisation chronique à la
fois économique et sociale de la profession agricole.
La consommation en circuit court a la vertu de politiser l’acte d’achat
et de développer une conscience environnementale qui induit la réduction
de son empreinte carbone et la prise en compte des enjeux climatiques.
Pour autant, comment peut-on aller plus loin que les circuits courts ?
[2]
Vers une transition alimentaire
L’activité agricole doit être repensée dans une approche
territoriale qui intègre la transition énergétique (sobriété et
production énergétique, limitation de gaz à effet de serre-GES-, de
l’élevage industriel) et la souveraineté alimentaire à l’échelle locale.
En offrant des débouchés économiques de proximité à des petits
producteurs, les circuits courts s’opposent à la spécialisation des
productions et à la monoculture intensive. La relocalisation des
filières agricoles et alimentaires pour des motifs énergétiques et
économiques introduit l’agroécologie paysanne
en traduisant les aspirations d’une population dans un autre rapport à
l’alimentation, à l’agriculture et à l’environnement. Ce mouvement social
interroge la ruralité contemporaine, soutient le maintien et la mise en
valeur des paysages, du patrimoine naturel, alimentaire, de la
biodiversité végétale et animale et l’arrivée d’une nouvelle génération
de paysans et de néo-ruraux. Il s’appuie sur le renforcement des liens
entre les producteurs (amicaux et professionnels), la dynamisation des
territoires, un rapprochement ville-campagne. Il fédère les
consommateurs, paysans et élus républicains dans de nouveaux rapports à
l’environnement, et à la consommation alimentaire par l’éducation
(notamment par la saisonnalité des productions végétales et fermières).
Le circuit court permet la réalisation d’économies sur
les autres segments de la chaîne de coûts (transports, transaction pour
le commerce sur internet) et la création de valeur sur des actifs
immatériels (marque, ancrage territorial, authenticité, lien social) qui
dans certains cas peuvent tendre vers un « commerce équitable local ».
Des acteurs ruraux souvent dont la structure est à
taille humaine proposent des produits locaux dont la traçabilité (par
l’identification et la proximité) crée un peu plus d’humanité que dans
les grands magasins où tout est conditionné et nos actes d’achat
scrutés. Les paysans et citoyens, en remettant en cause le modèle
agricole productiviste nous engagent dans une transition écologique et
sociale de l’agriculture et de l’alimentation en questionnant la crise
structurelle de l’économie agroalimentaire.
Vers une démocratie alimentaire
L’évolution du marché des circuits courts de proximité introduit d’une façon salutaire le débat sur la démocratie alimentaire.
Cependant, la notion de circuits courts reste floue,
cela recouvre des magasins de producteurs, les AMAP, certaines épiceries
sociales et solidaires, la vente à la ferme, par internet..., de plus
en plus de canaux distribuent les produits locaux. Et les loups de la
grande distribution "entrent allègrement dans la bergerie” en toilettant
leurs oripeaux capitalistes. Les GMS s’inscrivent ainsi, par le biais
du marketing contemporain, dans une récupération des concepts,
l’économie numérique est, elle, en phase de prédation du mouvement. De
la même manière, les investisseurs et autres actionnaires des GMS (qui
n’offrent que peu de garanties en terme de meilleure répartition des
revenus) entrent dans la danse de l’accaparement des terres à l’échelle
nationale (le groupe Auchan/Mulliez détient la palme).
-Démontage de la pseudo ferme Mulliez par la Conf’ à Avelin (Nord) 3 mars 2012-
Un collectif en lutte (Ferme des
Bouillons, Collectif pour le Triangle de Gonesse, SPLF 45, Oxygène 34,
Voguette 84, AmiEs de la Confédération paysanne) s’est constitué contre
l’accaparement des terres agricoles par la grande distribution et
spécifiquement par les groupes Auchan (Immochan ) et Oxylane (Decathlon)
en condamnant le gaspillage de ce bien commun essentiel que représente
la terre et en offrant des alternatives d’installation agricole.
En France, la première grande lutte contre les projets
dits inutiles et nuisibles avant Notre-Dame-des-Landes, c’était le
Larzac et la défense des terres agricoles ! Aujourd’hui, ce qui est en
jeu dans nombre de luttes citoyennes, c’est la défense des terres
nourricières.
Le débat sur l’avenir de notre agriculture et la protection des terres contre l’artificialisation des sols induit la question de l’accessibilité aux produits sains.
La démocratie alimentaire devrait aider à mettre en
place, à des échelles locales, des instances permettant de discuter, de
délibérer, de faire des choix et de s’assurer que l’ensemble de la
population puisse avoir accès à des produits de qualité.
Les circuits courts nous enseignent qu’il est nécessaire
que les citoyens sachent quels enjeux sous-tendent les choix
alimentaires qu’ils opèrent. Car ce que nous mangeons est à la fois le
résultat d’un rapport de force se jouant loin de notre assiette, à un
niveau macro, et de notre capacité à choisir. Pour cela, encore faut-il
avoir la possibilité d’accéder à la compréhension de ce qu’est un
système alimentaire, des conditions de sa durabilité et de pouvoir
choisir !
Limites de l’économie alimentaire de proximité
Les circuits courts s’adressent à des gens capables de
mobiliser des revenus pour accéder à cette alimentation et dans une
démarche de reconnexion de l’alimentation à sa production. Cependant
près de 80% des Français, en particulier des familles à petit budget et
des personnes en situation de précarité, ne posent pas forcément la
question de l’accès à l’alimentation de la même façon. En effet,
l’alimentation est devenu un marqueur de la précarité en devenant une
variable d’ajustement dans les politiques sociales sur la question de la
pauvreté. Désormais, l’alimentation ne doit pas coûter cher, elle doit
représenter 17% dans les budgets alors que le logement représente en
moyenne plus de 50% des budgets familiaux. L’État fait le choix d’une
alimentation à bas coût et trouve normal que près de 4 millions de
personnes qui passent par le dispositif d’aide alimentaire disposent de
produits industriels, par le biais de la nourriture défiscalisée pour
les distributeurs de l’aide européenne, ceux-là même (la grande
distribution) qui mettent en péril l’activité paysanne.
Pour les producteurs qui pratiquent les filières courtes, ce choix
d’orientation qui n’en est pas toujours un, vient heurter la
problématique du temps, celui du repos, de la disponibilité (vente à la
ferme), des déplacements, de l’entretien de la clientèle et des
exigences en terme de logistique. Certaines zones sont déjà saturées
quand les bassins de consommation sont faibles, les réponses sont
souvent individualistes. Les motivations derrière l’engagement dans des
circuits courts sont variables, de grosses exploitations y entrent par
stratégie commerciale (temporaire), des circuits longs en recherche de
nouveaux débouchés s’y engouffrent... On constate beaucoup de
producteurs biologiques en circuits courts mais beaucoup ne sont pas bio
(l’agriculture paysanne doit y défendre sa place) et certains y entrent
par pur opportunisme commercial.
L’agriculture paysanne en stockant du carbone participe à la diversité
des cultures, des variétés végétales et races animales, à
l’agroforesterie, au pastoralisme, à la préservation des prairies
naturelles et la valorisation du compost.
Les politiques publiques des collectivités qui font
appliquer une politique concurrentielle en lançant des appels d’offre
auprès des producteurs leur laissent peu de marge de manœuvre face aux
gros fournisseurs. Ce système rend très difficile l’approvisionnement de
proximité de la restauration collective.
Avec la spécialisation et ses déboires qui caractérisent
les productions agricoles depuis la révolution verte et l’avènement de
la P.A.C, force est de reconnaître qu’on ne peut pas enfermer la
gouvernance alimentaire dans des territoires délimités, fermés. Il faut
des politiques publiques qui soutiennent ceux qui font vivre les
campagnes, de l’inter-territorialité, de la complémentarité entre
territoires et anticiper sur les crises alimentaires qui se profilent.
Restaurer l’autonomie alimentaire devient un enjeu territorial majeur
dans l’urgence climatique, il devra s’accompagner d’une réforme agraire
également !
L’exemple de l’Ile-de-France montre que la région ne
dispose que de trois jours d’autonomie et s’approvisionne très loin.
Dans son plan municipal ‘climat-énergie’ de stratégie d’adaptation aux
risques climatiques, « Paris devra donc développer la production locale
d’aliments. D’ici à 2050, 25 % de denrées alimentaires consommées à
Paris devront être produites en Ile-de France. Intra-muros, la ville
devrait compter 33 hectares d’agriculture urbaine d’ici à 2020 ».
[3] Comment laisser bétonner les terres fertiles de Gonesse au lieu d’en faire un vaste jardin ?
Souveraineté alimentaire vs écoblanchiment
La politique de verdissement récupérée largement par les
grands distributeurs, le syndicat agricole majoritaire FNSEA et les
pays agro-exportateurs doit trouver une réelle traduction de politique
publique au service du maintien de paysans nombreux sur le territoire et
des services publics adaptés à la vie des territoires ruraux.
La transition alimentaire doit s’opérer en réfléchissant
à des échelles locales avec l’ensemble des acteurs en circuits longs et
en circuits courts, des détaillants, des intermédiaires, des artisans
et des habitants en restaurant une démocratie alimentaire qui
redéfinisse nos besoins éloignés du poids des lobbies agroalimentaires.
L’approvisionnement alimentaire est complexe, l’enjeu
est de penser la complémentarité des agricultures : celle entre circuits
courts et circuits longs, celle entre l’agriculture péri-urbaine -
proche des marchés de consommateurs et aujourd’hui valorisée par les
circuits courts- et l’agriculture du reste des territoires ruraux. On
peut introduire des acteurs comme les petits commerçants (épiciers en
particulier) ou les artisans qui jouent un rôle dans les filières
courtes, et même parfois un rôle important dans le développement local
et dans l’accessibilité à l’alimentation. La place du boucher est
centrale également avec la proximité d’ateliers d’abattage, de découpe
et de transformation des viandes qui induit un maillage dense en
abattoirs de proximité et la reconnaissance d’une réelle production
fermière.
voir Colloque « quelle place pour les produits fermiers dans les politiques publiques ? » 4-5 mars 2015 Champagne-Ardenne, campagne "Envie de paysans".
La ferme du futur est plus ancrée dans son territoire :
elle couvre ses besoins alimentaires et énergétiques dans le respect de
l’écosystème et du traitement animal, selon le scénario Afterres et celui du programme polyculture-élevage mis en avant par la FADEAR et le réseau “agriculture durable”.
Enfin, l’usurpation des valeurs et de l’éthique des
circuits courts par la grande distribution et l’économie libérale pose
la question des limites des systèmes alternatifs à leur adaptation et
compromission avec l’économie de marché.
Via Campesina, le syndicat international représentant
200 millions de paysans, propose de sortir l’alimentation des accords de
l’Organisation Mondiale du Commerce. Une complémentarité entre les
filières longues reconverties et l’économie de proximité doit permettre
de restaurer une souveraineté alimentaire
qui privilégie la relocalisation des productions agricoles et des
projets collectifs visant à commercialiser en circuits courts. Elle
pourrait être soutenue via la constitution de coopératives alimentaires
citoyennes, des outils collectifs de transformation en autogestion, de
réserves foncières et des politiques publiques volontaristes au service
du bien commun qu’est l’alimentation et son héritage culturel.
William Élie membre du Conseil d’administration des AmiEs de la Conf’
Publié le vendredi 30 octobre 2015
Version PDF: http://lesamisdelaconf.org/IMG/pdf/BastaCCA_GMS1-2.pdf
http://lesamisdelaconf.org/spip.php?article393#nh1
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